dimanche 20 mai 2018

CINEMA DE MINUIT - SCIPION M'ETAIT CONTE...

Bonjour les amis !

Ce soir, à 00 H 30 sur F3 : Scipion l'Africain (1937), de Carmine Gallone...


 Le cinéma de l'Italie fasciste reste encore aujourd'hui un mystère, de par sa diversité , surprenante dans un pays totalitaire. Films historiques, comédies, mélodrames cotoyaient les films de propagande.Même si la censure veillait particulièrement au grain, le média paraissait inoffensif aux yeux d'un pouvoir moins obsédé par la nécessité de contrôle par l'image que son voisin allemand. Le propre fils de Mussolini, Vittorio, s'amusait alors à produire et même scénariser des films d'aventure .
Mais, malgré tout, la nécessité d'édifier le peuple italien , de lui faire prendre conscience de sa grandeur et de sa supériorité se fit jour au moment de la guerre entamée contre l'Ethiopie.
Il germa alors, au plus haut sommet du pouvoir, l'idée de mettre en oeuvre une fresque spectaculaire qui légitimerait l'expédition  italienne.
Et pourquoi pas faire le parallèle avec le combat opposant Rome et Carthage à la fin de la deuxième guerre punique ? Rome symboliserait l'Italie, et Carthage l'Ethiopie. Le héros Scipion évoquerait Mussolini, et Hannibal serait Haïlé Sélassié 1er, roi d'Ethiopie.
Cofinancé par l'Etat, le film se lance juste après l'exclusion de l'Italie des Nations Unies.
Le Comte Ciano, proche du Duce, propose le film à un des cinéastes les plus prometteurs de l'époque, Alessandro Blasetti, lui aussi proche du régime, pour lequel il a déjà tourné des oeuvres de propagande , telles la célèbre Vieille Garde en 1934.
Mais deux problèmes se posent , assez sérieux vu l'ambition du projet :
- Blasetti pense sincérement que pour donner de l'ampleur à l'évocation, il ne faut pas représenter Scipion ! Et plutôt centrer le récit autour de l'amitié entre un soldat fidèle et un soldat à la solde d'Hannibal, posant ainsi la question de la fidélité à son pays natal. Refus outré des autorités : Scipion, puisqu'il symbolise Mussolini, doit absolument être vu !
- Le deuxième souci est que Blasetti, depuis la campagne d'Ethiopie, qu'il a trouvé violente et inutile , est saisi par le doute. Et s'il veut évoquer , même métaphoriquement cette campagne, il veut le faire avec modération. Ce qui est évidemment hors de question.
Exit, donc, Blasetti, le projet est confié à Carmine Gallone, qui avait tourné dix ans plus tôt, une assez mémorable version des Derniers Jours de Pompei...
Gallone est un cinéaste tout-terrain... et passe-partout. Sans grande personnalité, il accepte sans broncher les exigences venues d'en haut... et ce faisant, accumule les erreurs.
Erreurs dans la continuité narrative : le récit alterne l'affrontement Scipion/Hannibal et sa perception par des soldats italiens moyens. Hélas, ceux-ci sont grossièrement écrits et interprétés, ce qui empêche l'identification.
Erreur de casting également : si Hannibal est très solidement incarné par Camillo Pelotto...



... Le malheureux Scipion est incarné par Annibale Ninchi, au visage éteint,  à l'expérience cinématographique quasiment nulle , et dont la diction emphatique est dérangeante...


 ... d'autant plus dérangeante que les autorités ont imposé , pour son personnage, de très longues scènes de discours , histoire d'y faire passer les grandes lignes de l'idéologie fasciste. Le résultat est soporifique au possible.
Le directeur de la photographie du film, Luigi Freddi , aura beau avertir que le cinéma , ce n'est pas l'école, et qu'une belle action vaut mieux qu'un long discours, rien n'y fait.
Et à l'arrivée, comble du comble : Hannibal a plus de panache que Scipion !
Mussolini lui-même, découvrant le film , aurait même déclaré : "Si Scipion avait eu le visage mou de cet acteur, je ne sais pas s'il aurait gagné une seule bataille !"
Mais il est déjà trop tard . Gallone, expert es-peplums, se rattrape comme il peut , aidé par un budget considérable, grâce à des scènes , il est vrai, assez spectaculaires , notamment , évidemment , la charge des éléphants d'Hannibal.
Mais le mal est fait. Le film est raté, et même s'il reçoit, par pure complaisance, la Coupe Mussolini  du meilleur film en 1937, son échec commercial est impressionnant, et marque un coup d'arrêt de la production de films de propagande . Rossellini, Visconti, De Sica, vont bientôt pouvoir entrer en scène...

A plus !

Fred.

Source principale : Jean A.Gili, Le Cinéma Italien, Editions de la Martinière.


 




 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire