dimanche 20 novembre 2016

CINEMA DE MINUIT - HOTTE SPOT...

Bonjour les amis !

Ce soir, à 00 H 20, sur France 3 : L'Assassinat du Père Noël (1941), de Christian-Jaque...


 Voici un des films qui a fait la réputation de la sulfureuse  firme Continental, firme française à capitaux allemands, qui incarne à elle seule toute l'ambiguïté du Cinéma Français de l'Occupation .
C'est d'ailleurs le premier film produit par la Continental. 
Il est également un des films emblématiques (hors Carné-Prévert) , de ce que l'on a appelé le réalisme fantastique . 
A la base, nous n'avons pourtant qu'une intrigue policière commune : qui, le soir du 24 Décembre, a tué cet inconnu en habit de Père Noël ? Cela pourrait être le début d'un épisode de Barnaby...
Sauf que... Sauf que l'intrigue se déroule dans un village de haute-montagne , totalement enneigé et isolé , et que tout le monde soupçonne tout le monde dans un paysage immaculé. Le merveilleux est là.
Christian-Jaque, réalisteur prolixe, souvent inspiré, mais ô combien trop souvent opportuniste, retrouve ici la grâce qui avait déjà fait des Disparus de Saint-Agil, en 1938, une réussite...


Avec Very et Charles Spaak, il arrive à créer une véritable atmosphère d'étrangeté et d'inquiétude, dans un univers qui, comme dans les Disparus, tourne autour des enfants...
Dans la tradition de l'époque, la distribution est bétonnée : Robert Le Vigan, Fernand Ledoux, Jean Brochard, ainsi que les jeunes Raymond Rouleau, Bernard Blier et Renée Faure, incarnent ces villageois perdus, presque d'une autre époque.


Mais la distribution est dominée , encore une fois, par l'immense Harry Baur, interprète du père Cornusse, vrai-faux Père Noël, interlocuteur privilégié des enfants, et gardien des clés de cet univers.
La scène finale , où il parle aux enfants une mappemonde à la main, est restée justement célèbre. Les auteurs, à la Libération, pour se justifier devant les comités d'épuration, en ont fait une allégorie de la France résistante. Cela en a fait ricaner quelques-uns... Ce moment est surtout un pur moment de poésie et de lyrisme, dépassant carrément l'anecdote historique...

Un grand classique du cinéma français , à revoir ou à découvrir absolument.

Bande-annonce :


A plus !

Fred.


samedi 5 novembre 2016

CINEMA DE MINUIT - ON VOUDRAIT PARTIR MAIS ON RESTE...

Bonjour les amis !

Demain soir, à 00 H 20 : Les Amants de Vérone (1948) d'André Cayatte...


 En 1948, le tandem ¨Jacques Prévert- Marcel Carné bat de l'aile. Il est loin, le temps triomphal du Quai des Brumes et des Enfants du Paradis. Les deux enfants chéris du réalisme fantastique se cassent les dents sur la Libération et sur le film qui devait être la grande fresque du temps : Les Portes de la Nuit...


 Les deux auteurs sortent cassés de l'aventure : Carné , après avoir songé à abandonner le cinéma , verra deux de ses projets suivants ne pas aboutir : l'Espace d'un Matin , et surtout La Fleur de l'Âge, abandonné en plein tournage.
Prévert aussi est déçu , par un cinéaste qu'il trouve de moins en moins concerné par les problèmes politiques et sociaux du temps. C'est aussi le temps de la reconnaissance littéraire pour lui, ce qui le rend sans doute moins coulant. Les relations tendues avec Carné sont l'occasion pour le jeune cinéaste André Cayatte de débaucher le grand poète pour tenter , une nouvelle fois, de tisser la grande fresque du temps.
Il faut dire que le scénario de Cayatte a tout pour séduire Prévert  : à Venise, pendant la seconde guerre mondiale, on tourne Roméo et Juliette .  Dans le même temps, un souffleur de verre et la fille d'un industriel fasciste vivent l'histoire du couple mythique. Le contemporain, la passion , la poésie, le social, tout y est.
Un peu trop peut-être. Prévert lâche ses grands cheveux et le film est considéré, à juste titre, comme sa dernière grande oeuvre pour le cinéma.
Mais la mise en scène de Cayatte souffre un peu de la comparaison avec Carné. D'autant que le second marque le premier à la culotte.
D'abord , en soufflant à Carné son couple de jeunes premiers de la Fleur de l'Äge : Anouk Aimée et Serge Reggiani  !


Reggiani a déjà quelques années de cinéma derrière lui, il tourne depuis l'occupation, mais son jeu moderne et décontracté le cantonne paradoxalement aux rôles de voyous, comme dans... Les Portes de la Nuit !
Par contre, le film est, après le faux départ de la Fleur de l'Âge, le film qui lance la carrière de la toute jeune (16 ans !) Anouk Aimée, qui est charismatique, resplendissante... et qui a, pour une fois, à peu près, l'âge du rôle ! (Reggiani a dix ans de plus qu'elle !)
Elle parvient même à éclipser une autre belle actrice qu'on éclipsera plus très longtemps, la charmante Martine Carol, ici jouant une actrice capricieuse ( prémonition ?) .


Mais Prévert a le même défaut que Jeanson : même si les jeunes héros sont touchants , bien écrits, bien dialogués, ils sont étouffés par les monstres sacrés que l'auteur et le metteur en scène convoquent à leurs côtés, et qui sont tous de la maison : Pierre Brasseur ( les Portes de la Nuit), Dalio (Idem) , Louis Salou ( Les Enfants du Paradis) l'étrange Marianne Oswald, chanteuse atypique , qui fut une des premières à chanter du Prévert...


Ces machines de guerre sont fournies en munition par un Prévert qui en fait les Maudits de son film, les nazis, les fascistes, figures de cire, repoussoirs d'alors . L'émulsion entre l'univers de ces caricatures et celles de leurs douces victimes se fait, mais de manière assez cahotique... Encore une fois, comme dans Les Portes de la Nuit...

Soyons très clairs : Les Amants de Vérone est un film flamboyant, aux dialogues ciselés et poétiques, porté par une distribution impeccable, toutes générations confondues. Mais il marque aussi la fin d'une époque, d'un style : le réalisme fantastique d'avant-guerre n'a pas résisté aux horreurs du second conflit mondial. Il laisse la place , en cette fin des années 40, au réalisme noir, beaucoup plus désespéré, moins littéraire, porté par les oeuvres d'Yves Allégret et Jacques Sigurd...

Extrait : 


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Fred.


 

samedi 29 octobre 2016

CINEMA DE MINUIT - GRANDEUR DE GRANGIER...

Bonjour les amis !

Demain soir, à 00 H 20, sur F3 : Le Désordre et La Nuit (1958), de Gilles Grangier...


Enquêtant sur le meurtre d'un patron de boîte de nuit, l'inspecteur Valois tombe amoureux de Lucky, une jeune droguée... 

Il est grand temps de revoir un peu à la hausse une partie de l'oeuvre du sieur Grangier.
Assimilé par la Nouvelle Vague et les paresseux à la cohorte de cinéastes classés "Qualité Française" (Delannoy, de la Patellière) qui assuraient le quotidien du cinéma commercial français, il fut considéré comme un simple faiseur, un des plus fidèles yes-men de Gabin, qui ne serait contenté que de le regarder balancer les répliques d'Audiard.
Le réexamen de leurs nombreuses collaborations des années 50 laisse apparaitre, au contraire, un très grand soin, et une véritable recherche d'originalité .
Le Désordre et la Nuit est la cinquième rencontre Gabin/Grangier, et la quatrième en trio avec Audiard. C'est aussi, après Le Sang à la Tête et Le Rouge est Mis, leur troisième polar.



Et c'est leur meilleur. Malgré les objections de Gabin, qui se trouvait trop vieux pour jouer les amoureux , il joue ici un flic cueilli par une gamine en mauvais état. Peu d'acteurs savaient alors jouer la fragilité comme Gabin. Qui a tué le patron de la boîte de nuit ? Finalement, cela importe peu.
Grangier crée une atmosphère crépusculaire dans un Paris nocturne qui ressemble aux quartiers les plus louches de New York. Les personnages sont tous blasés ou abîmés. Audiard, très en forme à cette époque, aligne les répliques cinglantes et désabusées. Et pourtant, le film, l'un des préférés de son auteur, ne raconte rien d'autre qu'une histoire d'amour.
Le film marque également les retrouvailles de Gabin avec Danielle Darrieux , après Le Plaisir, et surtout La Vérité sur Bébé Donge...


Darrieux est impériale , encore une fois, dans un rôle, comme celui de Gabin, à contre-emploi : celui d'une pharmacienne impitoyable, qui fait du trafic de drogue pour arrondir ses fins de mois... Mais les deux personnages ne se rencontrent pas beaucoup, et, à son grand dam, DD se fait faucher la vedette par la révélation du film : Nadja Tiller...


Cette autrichienne à la beauté assez ahurissante était alors une vedette du cinéma allemand. C'est peu de dire qu'elle fit beaucoup d'effet à Gabin et à Grangier. Le premier n'eut pas grand peine à jouer son désir, et le second faisait régulièrement des heures supplémentaires pour la faire répéter. Le résultat est extrêmement convaincant, et son jeu troublant de belle fille paûmée constitue un des nombreux atouts du film.

Grangier et son équipe parviennent ainsi à éviter tous les clichés du genre et à livrer une oeuvre profonde et originale.
Les idolâtres de la Nouvelle Vague et les paresseux sont encore nombreux aujourd'hui à dire que le polar français n'existait pas dans les années 50, ou qu'il n'avait aucun intérêt. Plusieurs noms sont là pour contredire cette idiote thèse : Jean-Pierre Melville, Jules Dassin... et Gilles Grangier.

Extrait : 


A plus !

Fred.

samedi 22 octobre 2016

CINEMA DE MINUIT - ARCHANGE OU DEMON ?

Bonjour les amis !

Désolé de vous avoir laissé si longtemps sans nouvelles, parfois, la vie va trop vite, et pas toujours dans le sens qu'on voudrait...

Toujours est-il que....

Demain soir, à 00 H 20, sur France 3 : Gabriel Over The White House (1932), de Gregory La Cava...

 
 Judson Hammond, président des Etats-Unis , est un homme médiocre et impuissant . Victime d'un accident de voiture, il tombe dans le coma. Quand il en sort, il devient un autre homme, et décide de prendre les choses en main.

Voilà un film à prendre avec de grosses pincettes.
Certes, il est intéressant à plus d'un titre. D'abord, il annonce une recette qui sera chère, quelques années plus tard, à Frank Capra  : celle du John Doe, citoyen banal, qui, mû par la grandeur de sa charge et de ses responsabilités, se transforme en une sorte de héros civique. Il est difficile de ne pas penser , superficiellement, à L'Homme de la Rue ou à Mr Smith au Sénat...

 
Louis B.Mayer, lui, patron de la très conservatrice MGM, productrice du film, verra carrément dans cette histoire une apologie de Franklin Roosevelt et de sa doctrine dirigiste et étatiste . Pour ne pas être taxé de partialité , et surtout parce qu'il soutenait le candidat concurrent, Mayer attendra la fin de la campagne présidentielle pour sortir le film.
D'où la réputation de film rooseveltien que se trimbale le film. Réputation largement réductrice , nous allons le voir.
En effet, le nouveau président Hammond ne se contente pas d'être un homme providentiel : il prétend être la voix de l'archange Gabriel venu apporter l'ordre et la paix sur la terre . Et comment ? En résorbant le chômage, en régulant la finance, en combattant les gangsters. Mais aussi en mettant au pas un Congrès forcément corrompu et/ou feignant, et en mobilisant les forces militaires au service de l'Ordre ( les états étrangers sont contraints, sous la menace de l'armée, de régler leurs dettes de guerre !). Il ne fonctionne pas avec une équipe, des conseillers, il parle et décide SEUL, et sa voix est sacrée, puisque c'est celle de l'archange, voir plus haut. Où est le souci de démocratie, là-dedans ? Eh bien, oui, vous avez bien répondu, nulle part.
Plus qu'une synthèse des thèses de Roosevelt, le film fait donc l'étrange apologie d'une sorte de fascisme mystique , d'un régime autoritaire accepté par tous car venant d'en haut.
Le film est de 1932 : Mussolini est au pouvoir depuis dix ans, Staline également , et Hitler s'apprête à prendre le pouvoir. Gabriel démontre par l'étrange exemple que les années 30 furent bel et bien celles des totalitarismes, avec ce qu'elles pouvaient avoir alors d'attractif, et osons les mots, de lyrique et de flamboyant.
A la tête de ce douteux convoi, Gregory La Cava.

Cet ancien cartooniste des temps héroïques, travailla ensuite sur les comédies de W.C.Fields. C'est dans ce genre qu'il brillera, dans la deuxième partie des années 30, avec des classiques comme My Man Godfrey :


Mais ici, il est un peu compliqué de retrouver son style, tant le film (et c'est aussi une grosse différence avec Capra !) manque totalement d'humour, ce qui accentue encore le côté malsain de la démonstration.

La distribution est purement MGM : Karen Morley, le jeune Franchot Tone, et, dans le rôle du président,  Walter Huston, le père de John, dont ce fut un des rôles les plus importants .


Pour ceux qui s'intéressent au politique dans le cinéma classique, ce film est à ne pas rater , en tant que reflet ambigu d'une époque. Pour les autres, le choc risque d'être rude : allez plutôt revoir Mr Smith au Sénat...

Extrait : 


A plus !

Fred.

Sources :
Coursodon/Tavernier, 50 ans de Cinéma Américain, édition de 1991, Omnibus.
Anonyme, La Fabuleuse Histoire de la MGM, 1977, Le Livre de Paris.

dimanche 18 septembre 2016

CINEMA DE MINUIT - LE NAUFRAGE DU COMMANDANT CLOUZOT...

Bonjour les amis !

Ce soir, à 00 H 20, sur F3 : La Prisonnière (1968), de Henri-Georges Clouzot...


 Il y a des cinéastes pour qui la liberté absolue de création est un traquenard . Là où ils aimaient jouer avec la censure, avec l'interdit, l'ouverture totale du coffre à jouets les réduit à projeter banalement leurs fantasmes.
Ce film en est un exemple terrifiant. L'érotisme, et disons-le, un érotisme pervers, a toujours joué un rôle important chez Clouzot : qu'on se souvienne de Simone Renant et Charles Dullin reluquant Suzy Delair en porte-jarretelles dans Quai des Orfèvres, de Véra Clouzot passant la serpillère dans Le Salaire de la Peur, ou de Bardot dans La Vérité. Mais toutes ces apparitions étaient les épices de plats autrement plus consistants. Ici, on a l'impression de voir le défouloir hormonal d'un vieux cochon coincé.
Clouzot n'avait pas sorti de long métrage depuis La Vérité , en 1960, et avait été meurtri , et abîmé, par la cauchemar du tournage inachevé de l'Enfer, avec Romy Schneider et Serge Reggiani...


Les obsessions sexuelles du cinéaste, sa santé déclinante, et sa solitude depuis la mort de Véra, avaient déjà miné l'inventivité de l'auteur du Corbeau. 
La révolution culturelle, sexuelle des années 60 n'arrangera. Il troquera la jalousie, gimmick de L'Enfer , pour celui de la perversité. Mais son film a le défaut que rencontrent tous les auteurs qui veulent intellectualiser le sexe : le défaut de rendre le sexe chiant.
Ce n'est , hélas, pas un hasard, si c'est un artiste moderne, (Laurent Terzieff), qui s'amuse à photographier des femmes dans des poses humiliantes. Clouzot mêle à son obsession son attrait d'alors pour les artistes (Vasarely, Yvaral), ce qui contribue encore à dater le film. Le fait que sa victime consentante (Elisabeth Wiener), soit une bourgoise mariée au directeur d'une galerie d'art ( Bernard Fresson) , accentue encore le côté mélo coquin pompidolien.
Les expérimentations visuelles, nombreuses, ne font, hélas, que camoufler la vacuité de l'ensemble. 
Pis , les atouts permanents, même dans ses films les plus faibles, du réalisateur n'apparaissent pas : les dialogues sont secs , ou prétentieux, et surtout, surtout, la distribution manque de pertinence. . Terzieff et  Fresson , malgré leur talent, paraissent bien falots par rapport aux cadors d'antan. Ce qui est d'autant plus rageant, que, pour des rôles quasiment de figuration, Clouzot fait appel à des acteurs autrement solides ! (Piccoli, Vanel, André Luguet, Dany Carrel, Claude Pieplu, et même Dario Moreno !). Et la belle Elisabeth, qui fera ensuite une bien belle carrière de chanteuse, est juste décorative. Mais ne jetons pas la pierre aux acteurs, qui ont des personnages quasi indéfendables. La vérité (hé hé !), c'est que nous nous trouvons en face d'un cinéaste qui n'a plus de jus, de quelqu'un qui a dominé le cinéma français pendant vingt-cinq ans, qui a tout donné, et qui s'est arrêté trop tard.
Pour moi qui admire Clouzot, revoir ce Clouzot-là , le dernier, est toujours un calvaire.

Le sado-masochisme, encore une fois, méritait mieux que ce pensum. 

A plus !

Fred.

Photos du film :








dimanche 11 septembre 2016

CINEMA DE MINUIT - L'ESPION QUI VENAIT DE L'ASILE...

Bonjour les amis !

Ce soir, à 00 H 20 , sur F3 : Les Espions (1957), de Henri-Georges Clouzot...


Les grands films de Clouzot ont tous leur nom dans l'Histoire du Cinéma, souvent évoqués, souvent cités..
Tous sauf un : celui-ci , qui est le chef d'oeuvre injustement méconnu de Clouzot.
Il est encore difficile aujourd'hui de comprendre ce qui a mené le cinéaste à cet étrange huis-clos en asile psychiatrique.
D'autant que le cinéaste de la noirceur et du désespoir semblait avoir découvert l'amour du beau, et de la couleur,  en filmant un peintre au travail (et quel peintre !) dans Le Mystère Picasso...


Mais ce documentaire fut un échec commercial. Clouzot décida alors de renouer avec le public, et de frapper un grand coup avec ce qu'il voulait être une tragédie noire de l'ère atomique, selon ses propres termes.
En 1957, la guerre froide bat son plein. Ces nouveaux combattants, à la fois gentils (les nôtres) et méchants (les autres), que sont les espions, font leur apparition dans les journaux, et dans les romans de Ian Fleming ou de Graham Greene. Le cinéma , lui, ne sait pas trop encore comment appréhender ces héros d'un type nouveau. Les années 60 verront la Boîte de Pandore s'ouvrir...
Pour Clouzot, un monde d'espions, c'est un monde de secrets, un monde d'observateurs et d'observés, et, donc, évidemment, un monde paranoïaque.
D'où l'idée d'adapter un tout petit roman hongrois pour en faire une vaste métaphore de notre monde devenu fou.
Le docteur Mélic, directeur d'un asile psychiatrique à la dérive qui ne compte plus que deux clients, accepte , à la demande d'un officier anglais, d'accueillir, dans le plus grand secret, un espion. Aussitôt, du jour au lendemain, son établissement se retrouve envahi de personnages louches. Mélic va se retrouver au centre d'un jeu qui le dépasse...
Là où Les Diaboliques limitait le huis cos à trois personnages, Les Espions joue sur le foisonnement, l'invasion, le grouillement. Pour marquer l'incompréhension, la barrière de la langue et le danger de l'étranger, Clouzot, pour la première fois, ouvre sa distribution à l'international, avec des acteurs atypiques : l'allemand O.E.Hasse, spécialiste outre-rhin des films de guerre, Curd Jurgens,  l'américain Sam Jaffe, pilier du film noir, et bien sûr, le plus cosmopolite des acteurs, Peter Ustinov.


Ces agents trop curieux harcèlent sans pitié le pauvre docteur Mélic, joué de façon très sobre par Gérard Séty.

Ce fut une idée très originale de confier le rôle principal du film, très effacé, très victime, à un artiste célèbre à l'époque pour son numéro de transformiste. Le symbole est évident.


Je parlais de foisonnement, je n'exagère pas, la distribution du film étant la plus dense d'une oeuvre de Clouzot. On retrouve les fidèles ( Louis Seigner, Pierre Larquey, Jean Brochard), madame Véra, encore peu gâtée dans le rôle d'une muette (son dernier !) , mais aussi toutes une galerie de gueules , connues ou non, accentuant la dimension inquiétante du film : Gabrielle Dorziat, Daniel Emilfork, Clément Harari, Martita Hunt, Sacha Pitoëff, et même des figurants ayant pour nom Robert Dalban ou Jacques Dufilho !
Le tout au service d'un film étouffant, qui a déconcerté le public et la critique.
Henri Jeanson ouvrit le feu dans le Canard Enchaîné : Clouzot a fait Kafka dans sa culotte.
A quelques exceptions près, l'accueil fut tout aussi glacial, et le film, un désastre commercial.
Il est vrai que Clouzot, au fil du tournage, se rapprochait de plus en plus du caractère distancié, ironique de l'auteur de la Métamorphose (certaines scènes sont très drôles), s'éloignant de la dimension tragique souhaitée.
C'est cette instabilité permanente qui, pour moi, fait la grandeur du film. Et qui a décontenancé tout le monde.
Une dernière chose : la scène finale, que je vous laisse découvrir, est un des moments les plus glaçants que j'aie pu voir au cinéma.
Bonne séance !

PS : ayant compris que le film était plus décalé qu'il ne l'escomptait, le réalisateur confia la conception des affiches... au jeune Siné ! Big Up, Bob !

 A plus !

Fred .

Sources :
Cinéma Français, l'Âge d'Or, Collectif, Editions Atlas, 2005 .
Lettre au Docteur Malic, article d'Henry Colonne, in Positif N°27, Février 1958.
Les Espions, Juste en faire trop, article de Vincent Casanova, in Positif n°579, Mai 2009.




lundi 5 septembre 2016

CINEMA DE MINUIT - DU SANG DANS L'ENCRIER...

Bonjour les amis !

Hier soir, à 00 H 15 sur F3 : Les Diaboliques (1955), d'Henri-Georges Clouzot...

 Que dire, encore aujourd'hui, du film le plus célèbre de son auteur ? Que dire, sans en gâcher la découverte à ceux, qui, heureux mortels, ne l'ont PAS encore vu ?
Qu'il s'agit, peut-être, ici, du seul film à suspense pouvant faire jeu égal avec les plus grandes réussites de Sir Alfred Hitchcock. Ce n'est pas un hasard, d'ailleurs, si ce dernier, qui s'était fait griller la politesse par Clouzot sur les droits de cette nouvelle de Boileau et Narcejac, adaptera une autre de leurs oeuvres pour en faire son fameux Vertigo.
Il fallait un certain sang froid et un mauvais esprit certain pour situer l'action de ce polar noir, si noir ... dans une école, et pour faire de son personnel une succession d'êtres vils, froids, ou bêtes.


Paul Meurisse campe un directeur odieux , qui fait des économies sur le dos des élèves qu'il martyrise. Economies d'autant plus injustifiées que l'argent est , en fait, celui de sa femme, jouée par Véra Clouzot .


Femme qu'il trompe, au vu et au su de tous, avec l'institutrice jouée par Simone Signoret.


Humiliées, les deux femmes se rapprochent et décident de tuer le salaud...

Exercice de style de haut vol, le film est également du Clouzot pur sucre, les personnages étant mus par la cruauté, la haine, la perversion ou la bêtise.

A l'instar de Louis Jouvet dans Quai des Orfèvres, l'inspecteur joué par Charles Vanel se contente, distant et blasé, de compter les points de ce sinistre règlement de comptes.

Comme à son habitude, le réalisateur bétonne sa distribution avec ses briscards fétiches : Larquey, Brochard, Roquevert, et aussi deux petits jeunes, promis à une longue carrière : Michel Serrault et Jean Lefebvre.Tous campant des imbéciles ou des médiocres.

Mais le film est également un bijou de virtuosité visuelle, notamment dans sa dernière partie, se déroulant de nuit, dans la pension déserte, et où l'auteur réaffirme son amour des lumières contrastées et angoissantes.

Les chipoteurs considèrent encore aujourd'hui que , malgré ses qualités évidentes, les film est plombé par le jeu (mauvais) de Véra Clouzot. Paul Meurisse, dans ses mémoires, n'épargne pas la néophyte, et reproche même au réalisateur d'avoir saboté la lumière de Signoret pour mettre en valeur Madame.

Nous ne saurons jamais si une actrice plus valeureuse aurait porté le film plus haut. Mais, à l'arrivée, encore une fois, Clouzot, par la solidité de son dispositif , son efficacité, fait oublier la manque d'incarnation du maillon faible du trio.

Un film à voir, à revoir, et, comme le disait le panneau final :

A plus !

Fred.



lundi 29 août 2016

CINEMA DE MINUIT - TNT HAUTE DEFINITION...

Bonjour les amis !

Hier soir, à 00 H 20, sur F3 : Le Salaire de la Peur (1953), d'Henri-Georges Clouzot...


 Voici le film le plus célèbre, le plus populaire de son auteur. Le seul film à avoir remporté, la même année, la Palme d'Or à Cannes et l'Ours d'Or à Berlin . Doublé bien mérité. Comment un cinéaste d'atmosphère comme Clouzot, qui s'était perdu dans Miquette et sa mère, adaptation de Feydeau bien éloignée de son tempérament, a-t-il pu signer ce qui reste aujourd'hui comme un des mètres étalon du film d' action et de suspense ? Cela reste un mystère.
La rencontre avec sa seconde femme , Véra, a sans doute joué un rôle important.


Clouzot va tomber amoureux de la femme et de son pays, le Brésil. D'où le désir de tourner une aventure exotique en Amérique Latine. Mais les exigences du cinéaste vont mal s'accorder avec les réalités brésiliennes.
Qu'à cela ne tienne, son Amérique du Sud, Clouzot va la reconstituer... dans le Sud de la France (Gard, Camargue...) ! Et le résultat est bluffant !
Le roman d'origine est signé Georges Arnaud, et son idée de base est géniale : pour éteindre un incendie à l'autre bout du pays, une compagnie pétrolière engage quatre mercenaires pour transporter deux camions de nitroglycérine. Problème : la nitro, ça pète au moindre choc.
Le film est donc une vaste équipée, qui permet une nouvelle fois à Clouzot de montrer une humanité cynique et désespérée : la Compagnie n'hésite pas à envoyer des paûmés à la mort, et les paûmés en question ne sont guère attachants . Loin du voyage initiatique , le trajet sera l'occasion de faire tomber les masques et de montrer les aspects les plus noirs de chaque conducteur.
Le personnage le plus emblématique est monsieur Jo.


Matamore, faux caïd , Jo apparaîtra peu à peu comme ce qu'il est : un incapable, un fainéant, et un authentique couard. Ce rôle , refusé par Gabin, permettra à l'immense Charles Vanel de relancer sa carrière.
Le film permit également à Yves Montand de devenir ENFIN un acteur...


Chanteur extrêmement populaire , Montand ne parvenait pas à se remettre de ses débuts catastrophiques au cinéma, dans Etoile sans Lumière, aux côtés d'Edith Piaf, et surtout Les Portes de la Nuit, de Prévert et Carné , en 1946, où il apparut faux et emprunté...


Est-ce la rencontre avec Simone Signoret ou la tyrannie coutumière de Clouzot ? Le dadais maladroit laisse ici la place à un mâle de chez mâle, physique, animal, qui ne songe qu'à partir du désert pour épouser celle qui l'aime, incarnée par... Véra Clouzot.


Et nous en arrivons à l'épineux dossier Véra Clouzot, qui nous occupera pendant quelques chroniques de ce cycle. La belle n'était pas, mais alors pas du tout comédienne. Son mari, érotomane, tiendra cependant à ce qu'elle incarne ses propres fantasmes sur grand écran. Ici, elle est érotisée au maximum, et la scène où elle embrasse la main de son homme en même temps qu'elle lave par terre, est à la fois très audacieuse pour l'époque, et , en même temps assez dérangeante, l'actrice (?) n'assumant pas, n'incarnant pas vraiment ce moment hot. Les interprétations de Véra ne mettront jamais vraiment en péril la mécanique savamment huilée du réalisateur, mais ce malaise persistera, malgré tout, dans les films suivants. Nous y reviendrons. Ici, du reste, Véra apparaît assez peu.
Les deux autres chauffeurs méritent d'être salués, tant leur composition est également remarquable.


Folco Lulli, second rôle très demandé du cinéma italien, tient ici son rôle le plus célèbre, de même que l'allemand Peter Van Eyck, qui a le privilège de prononcer la réplique la plus célèbre du film, tout en se rasant : Si je dois faire un macchabée, que je fasse au moins un macchabée présentable"...

André Bazin écrivit que le film était la fusion parfaite des leçons du néoréalisme italien et du cinéma hollywoodien.
Hollywood, où le film est célèbre, ne s'y trompera pas : William Friedkin signera, en 1977, un remake du film, Sorcerer, qui, chose rare, est également un excellent film.


A plus !

Fred.




dimanche 21 août 2016

CINEMA DE MINUIT - MAUDIT OISEAU...

Bonjour les amis !

Ce soir, à 23 H 40 (Fichtre !) , sur France 3 : Le Corbeau (1943) d'Henri-Georges Clouzot...


 Rarement film aura porté en lui une telle charge sulfureuse et suscité tant de commentaires contradictoires .
Le Corbeau est-il un chef d'oeuvre ou une monstruosité ? Le débat, qu'on croyait clos, continue pourtant chez les historiens, du cinéma ou non.
En fait,pour moi,  tout est une question de contexte. Autant ; lorsque je présente des Films Patrimoine en salle, je m'attache à resituer le film dans son époque, autant je considère que , pour apprécier Le Corbeau, il faut, impérativement , le sortir de son contexte.
Qu'avons-nous à la base ? L'adaptation romancée d'un fait divers authentique, survenu dans les années 20,  à Tulle , eh oui, qui fut inondée pendant des mois par des dizaines de lettres anonymes signées du même auteur, créant un climat de psychose dans la ville.
Clouzot et son scénariste Louis Chavance décidèrent de faire de l'anecdote un tableau de la vie provinciale. Mais un tableau à la Clouzot, un tableau cruel, désespéré, méchant, où les victimes du corbeau sont presque toutes aussi antipathiques que lui. Dans cette ville , tout le monde est éclopé, physiquement ou moralement : le docteur Germain (Pierre Fresnay), accusé d'être un avorteur, est un homme froid, distant et cynique. Celle qui l'aime, (Ginette Leclerc), a un pied bot , et sa soeur est une adolescente nymphomane. Les notables sont poisseux . Tout le monde ment, ou tout le monde se tait. L'atmosphère est détestable, et la découverte du coupable ne changera en fin de compte pas grand'chose à la misère locale.
Dialogue à couper au couteau , mise en scène précise et tendue, nous sommes ici dans ce que beaucoup considèrent comme un des plus grands films français, et le plus beau film tourné sous l'Occupation.
L'Occupation. Nous y voilà.
Car si on remet le film dans le contexte de son époque, le trouble revient.
1943 est l'année charnière, l'année la plus dure. La Zone Libre a disparu, les Allemands sont partout, et Vichy apparaît de plus en plus comme une simple courroie de transmission de l'horreur occupante. L'esprit de résistance commence à gagner , et à apparaître aux yeux des perspicaces... même au cinéma.
Un film va cristalliser ce sentiment : Pontcarral, général d'Empire, de Jean Delannoy, avec Pierre Blanchard...


Cette épopée napoléonienne, bien oubliée, connut un succès surprenant, car, selon les contemporains, elle permettait au spectateur de s'inscrire dans un sentiment national, de vivre le patriotisme par procuration, sans crainte d'être arrêté. Les spectateurs, à la fin du film, applaudissaient la France en même temps que Pontcarral.
Tout le contraire du Corbeau, portrait à charge de nos compatriotes. La presse clandestine s'empara du film , en dénonçant le caractère défaitiste, prétendant même que le film était exploité en Allemagne sous le titre Une Petite Ville Française. C'était faux. Circonstance aggravante : le film était produit par la Continental, la fameuse firme allemande installée en France. Il s'agissait donc, aux yeux des résistants, d'une authentique oeuvre de propagande pro-nazie.
Un critique communiste ira même jusqu'à écrire, en 1947 : "Sous la plume du corbeau, je devine l'Aigle Hitlérien !"
Autant vous dire que le film prendra cher à la Libération : interdit pendant deux ans , il verra son réalisateur interdit d'exercer son métier à vie (l'amnistie viendra en 1947), et son acteur principal , Pierre Fresnay, passer six semaines en prison...

C'est le moment de préciser que Fresnay fait ici une de ses plus grandes compositions , loin de ses jeunes premiers fades des années 30 ( Marius !). Froid, antipathique, mystérieux, le docteur Germain, en enquêteur, est un anti-héros, impuissant car étranger à une communauté malade et silencieuse.
Encore une fois, il serait trop long de citer toute la distribution, sinon que Ginette Leclerc, en amoureuse transie, boîteuse, malheureuse et aigrie, trouve le deuxième rôle (courageux !) de sa vie, après La Femme du Boulanger.  Remarquons Pierre Larquey, Louis Seigner, Jean Brochard, Roger Blin, Sylvie, Pierre Bertin...

... Ou encore Héléna Manson...


... Qui trouve ici son rôle le plus fameux dans le rôle d'une infirmière sèche et asociale : sa traque dans les rues de la ville par la population  est un des plus beaux moments de ce bijou.

Et moi, alors, qu'est-ce que j'en pense, de la polémique autour du Corbeau ?

Eh bien, tout dépend de la conception que l'on a de la notion d'Intelligence avec l'Ennemi...

Pour moi, à mon avis, un spectateur de l'époque qui allait voir le Corbeau n'en ressortait pas regonflé à bloc, motivé, désireux de se battre , ou même de bonne humeur. Il en ressortait déprimé, choqué, défiant envers l'être humain, peu soucieux de son prochain. Seul au monde.
Et ça, en 1943, ce n'était pas anodin, quoiqu'on en dise.

Il n'en est plus de même aujourd'hui. Et je vous encourage vivement à ne surtout, surtout pas manquer cette nouvelle diffusion de ce très, très grand classique.

A plus !

Fred.

 

mercredi 10 août 2016

CINEMA DE MINUIT - INSPECTONS CLOUZOT...

Bonjour les amis !

Dimanche prochain, à 00 H 25 : Quai des Orfèvres (1947), de Henri-Georges Clouzot...

 La récente restauration de la quasi-intégralité de ses oeuvres est sans doute la raison de cet important cycle consacré à l'un des plus grands , des plus célèbres , mais aussi un des plus controversés parmi les cinéastes français : Henri-Georges Clouzot.


 L'approche non-chronologique du cycle va m'obliger à faire du saute-mouton entre les époques, ce qui est un peu regrettable, mais je vais tâcher, malgré tout, d'être clair.

Pour le film qui nous occupe , nous sommes en 1947. Cette année marque le retour de Clouzot derrière une caméra. Un Clouzot qui revient de loin. Suite au scandale provoqué par Le Corbeau , (qui sera diffusé la semaine prochaine, et sur lequel je reviendrai plus précisément), Clouzot , à la Libération, s'il échappe à la prison, se voit frappé d'une interdiction professionnelle à vie ! 
Mais le soutien acharné de quelques défenseurs (Jeanson, Becker, Pierre Bost), ainsi qu'une volonté gouvernementale de faire table rase, par une amnistie quasi-générale de tous les artisans de cinéma condamnés pour collaboration, permet au cinéaste de lancer un nouveau projet.
Ce projet, ce sera l'adaptation d'un roman policier de Steeman. Une vieille connaissance, Clouzot ayant déjà adapté Le Dernier des Six pour Georges Lacombe,  et L'Assassin habite au 21 pour son premier passage derrière la caméra.
Mais cette fois, l'adaptation sera vraiment très... libre, puisque le cinéaste et son scénariste Jean Ferry avoueront avoir écrit le film... de mémoire ! Ce qui inspirera à Steeman la fameuse remarque : " J'ai toujours eu envie de tirer des romans des films que Clouzot tirait de mes romans..."
En fait, le film ne conserve du livre que le motif de Noël, le peintre jaloux, devenu d'ailleurs un pianiste à l'écran . Pour le reste, c'est du Clouzot pur sucre : noir, désespéré, grinçant, sordide. Et magnifiquement exécuté.
Tout le film n'est qu'une enquête poisseuse dans un univers poisseux : une jeune chanteuse de music-hall, peu farouche (Suzy Delair), fréquente un vieux dégoûtant (Charles Dullin), qui lui fait miroiter des débuts au cinéma... Elle se laisse faire, au grand dame de son mari Noël ( Bernard Blier), et de son amie photographe ( Simone Renant) , visiblement amoureux d'elle. Evidemment, le vieux est tué. L'inspecteur Antoine ( Louis Jouvet), enquête.
Quoique l'on pense du regard que porte le cinéaste sur ses personnages, peu reluisants, l'on ne peut qu'être ébahi par l'excellence de la mise en scène , à tous les niveaux : tous les plans sont d'une rare beauté ( Clouzot et son décorateur Max Douy établissent des dizaines de story-boards, la lumière en noir et blanc d'Armand Thirard est l'objet d'un soin permanent), l'atmosphère est étouffante, et la direction d'acteurs  infaillible.


Louis Jouvet, épuisé par les années d'exil vécues pendant l'Occupation, donne aussi toute sa propre fatigue, sa propre lassitude , à son personnage de flic revenu de tout, et qui n'accorde son affection qu'à un petit mulâtre ramené des colonies...

Le film voit aussi le triomphe de la sensualité agressive, de la vulgarité flamboyante de Suzy Delair, dont la chanson Avec son Tralala assurera le succès du film...


Ce fut un magnifique cadeau de rupture, le couple Clouzot-Delair finissant alors de se déchirer...

En acceptant le rôle de la photographe, ambigüe et malheureuse, Simone Renant trouvait le rôle de sa vie. Condamnée pour presque toute sa carrière aux mélodrames etherés et aux Boulevards de second choix, elle sera pour toujours l'image de l'amour (alors) honteux.


Bernard Blier, imposé par Jouvet, n'aura pas la vie douce sur le tournage , Clouzot lui assénant entre autres une gifle mémorable ! Mais le résultat est là, et le film, de l'aveu même de l'acteur, fait entrer celui-ci dans la cour des grands. Il n'en sortira plus .

Comme toujours, Clouzot bétonne sa distribution, et il serait trop long d'énumérer les seconds rôles / machines de guerre ( Larquey, Bussières...) , qui émaillent son film et à qui il confie, parfois, une ou deux répliques cinglantes.
Car, outre son talent de metteur en scène, Clouzot était également un prodigieux dialoguiste, ce que l'on oublie trop souvent de rappeler.

A sa sortie, le film est un succès. Si communistes et catholiques , qui n'ont pas oublié Le Corbeau, hurlent au cynisme et à la noirceur ( Zola, ce n'est pas Céline, monsieur Clouzot !), la plupart des critiques reconnaissent de bonne grâce l'excellence de l'exercice de style;
Le film remporte d'ailleurs le Grand Prix de la Biennale de Venise.

Clouzot est bel et bien sorti du purgatoire...

Un véritable classique, à voir, à revoir, encore et encore...

A plus !

Fred.

samedi 6 août 2016

CINEMA DE MINUIT - BARBARA LA FLAMBEUSE...

Bonjour les amis !

Demain  soir, à 00 H 25 sur France 3 : Franc Jeu  (1934), de Archie Mayo...

 Fin de ce joli cycle Warner pre-code avec le retour de miss Stanwyck. Nous sommes en 1934, et les ligues de vertu ont quasiment gagné. Ainsi, le personnage incarné par Barbara est-elle moins une pécheresse que la fille d'un pécheur. Elle se contente de suivre les traces de son père, joueur invétéré, en flambant dans les casinos. Mais elle va tomber amoureuse d'un homme, qui, lui, va se retrouver accusé de meurtre.
La férocité, la critique sociale contenue dans les premiers Warner du parlant cède de plus en plus la place aux conventions du mélodrame. L'amour rédempteur triomphera, dans la meilleur convention du genre.
Reste la première rencontre du duo Stanwyck- Joel MacCrea.

Ce grand gaillard de MacCrea fera une belle et longue carrière, où il alternera films d'aventures, comédies , romances, et surtout, à partir des années 40, westerns. L'alchimie entre lui et Barbara les fera se retrouver souvent, notamment dans le Pacific Express de Cecil B.DeMille (1939) :


Il tournera avec Hitchcock, Tourneur, Wellman, et terminera sa carrière en mettant  le pied à l'étrier de Sam Peckinpah pour son second film , Coups de Feu dans la Sierra...


 Ils sont flanqués d'un authentique acteur maison de la Warner, spécialiste des rôles positifs : flics, curés... monsieur Pat O'Brien.

Heureusement que ca brave Pat était là pour accrocher ou pour faire la leçon à Bogart , Robinson et autres Cagney ! C'est face à celui-ci qu'il trouvera son rôle le plus mémorable, celui du père Connolly, nemesis et ami d'enfance  du gangster Sullivan...


La semaine prochaine, début d'un superbe cycle consacré au génial Clouzot, avec des copies toutes récemment restaurées !

A plus !

Fred .

dimanche 31 juillet 2016

CINEMA DE MINUIT - DOUBLE DOSE DE GANGSTERS...

Bonjour les amis !

Ce soir , à 00 H 20, sur F3 : Le Beau Joueur (1931), d'Alfred E. Green...


 A la Warner, on sait compter : on sait que un et un , ça fait deux . On en conclut donc qu'un acteur à succès plus un acteur à succès , ça peut faire un succès deux fois plus grand. D'autant que les deux acteurs en question sont de purs produits du studio , et sont les révélations du moment dans le même genre : le film de gangsters.


C'est Robinson qui ouvrit le feu, peu après le faux départ de Doorway To Hell (voir chronique du 26 Juin )
 avec Little Caesar, description violente et parfois complaisante de l'ascension et de la chute d'un caïd...


 Le succès fut énorme et encouragea le studio à développer le genre : quelques mois plus tard, sortait l'Ennemi Public numéro 1, qui lança la carrière du seul vrai dur du studio, James Cagney...



Le film allait être un nouveau triomphe au box-office. Mais cela, au moment du tournage du film de ce soir, le studio ne le savait pas encore, puisque Smart Money et Public Enemy ont été tournés simultanément. Néanmoins, le talent de Cagney était si manifeste que la Warner décida, en dernière minute, de lui donner le deuxième rôle après Robinson sur ce projet-ci.
Et, en fait, le résultat est un peu bancal.
D'abord, parce que Smart Money, vendu comme un film de gangsters, n'en est pas un . Sans doute écrit avant la révélation Caesar, c'est l'histoire d'un sympathique petit barbier, qui se fait arnaquer, et décide de se venger. On est loin du gangster psychopathe. Robinson compose, plutôt bien, d'ailleurs, un personnage truculent. Cagney prend tout l'espace qu'il peut dans un rôle qui n'est qu'un faire-valoir. 
 Enfin, même si j'ai l'air de me répéter, Green n'est ni Mervyn Le Roy ( Caesar), ni William A.Wellman (Public Enemy) : il se contente de filmer correctement une petite histoire amusante.
La sortie , et l'énorme succès de Public Enemy, allait malgré tout assurer la rentabilité de ce petit film opportuniste, où Cagney se retrouva, sur l'affiche, à égalité avec Robinson.
Ce fut leur seul film ensemble, les deux acteurs étant assez intelligents pour comprendre que leurs deux charismes forts réunis sur le même plateau ne pouvaient que s'annuler...

A noter la présence, dans un tout petit rôle même pas crédité, du cher Boris Karloff, alors en passe de devenir le monstre de Frankenstein... 



Court extrait du film  :

A plus !

Fred.

 

dimanche 24 juillet 2016

CINEMA DE MINUIT - L'ORGUE DE BARBARA...

Bonjour les amis !

Ce soir, à 00 H 20, sur F3 : Liliane (1933), de Alfred E. Green...


 Nous voilà de retour dans le pre-code, le pur, le vrai, avec l'histoire typique d'une garce amorale qui utilise ses charmes auprès des hommes pour gravir en vitesse  les échelons d'une grande banque.
Le film est souvent comparé à Red-Headed Woman, autre histoire d'une arriviste sans scrupules tourné à la même époque à la MGM par Jack Conway pour Jean Harlow...


La comparaison n'est hélas pas vraiment à l'avantage du film de ce soir, car Conway et la MGM avaient fait de leur film un vaisseau de guerre destiné à placer définitivement sur orbite la belle Harlow : elle y est sexy, malicieuse, vacharde, tout tourne autour d'elle, et la machinerie tourne à plein.
Mais Green n'est pas Conway, et le film - qui comporte, contrairement au Conway, une happy end ridicule -  est presque un écrin trop léger pour une des révélations de l'époque,  destinée -mais nul ne le savait alors - à faire une grande carrière : Miss Barbara Stanwyck...


 Révélée par Frank Capra à la Columbia  au début des années 30, Stanwyck se révèle une des actrices les plus convaincantes, les plus modernes du moment . La Warner , qui la récupère, exploitera surtout son côté fort, dominant , et sexy, qui fait merveille dans les pre-code. Le film est pour elle et elle le domine, comme elle domine de très loin ses partenaires masculins, il est vrai fort fades : l'inévitable George Brent...


... ou encore le tout jeune John Wayne, alors en pleine loose, et qui passa juste quelques mois au studio...


La Warner, qui trouvait que , jusqu'ici, l'actrice n'avait pas été très bien servie niveau élégance, fait ici appel à Orry-Kelly, leur grand couturier maison , qui fit à l'actrice des ensembles ahurissants...



Pour celui qui souhaite découvrir le pre-code, le film est une excellente entrée en matière . Rien n'y manque : le personnage féminin fort, sensuel et amoral, le rôle-clé du sexe dans les relations entre les personnages, et le portrait d'une Amérique en crise, où tout est bon pour se sortir de la mouise. Pas un chef d'oeuvre, mais un bon cru. Surtout grâce à Stanwyck.

Bande-annonce : 


A plus !

Fred.