mercredi 1 juillet 2015

CINEMA DE MINUIT (à la bourre !) : LA MITE COLONIALE...

Bonjour les amis !

Dimanche dernier, à 00 H 25 sur France 3 : La Route Impériale (1935), de Marcel l'Herbier...


Il y a des moments où même l'archéo-cinéphile le plus fervent, le plus curieux, le plus patient... doit s'avouer vaincu. Il y a des genres qui n'ont pas traversé le temps : le cinéma colonial en est un, et on comprend fort bien pourquoi. Ce cinéma de l'héroïsme au soleil, avec ses militaires courageux, raides et tout dévoués à la mère patrie , a donné peu de chefs d'oeuvre : Le Grand Jeu, de Feyder, peut-être, Alerte en Méditérranée , de Joannon, qui peut être considéré comme l'archétype du genre, et surtout les deux Duvivier avec Gabin,  La Bandera et Pépé Le Moko, dont on peut dire qu'ils subliment le genre...




Mais ce n'est pas du tout le cas du film présenté ici. Inspiré d'une pièce de théâtre de Pierre Frondaie, connu pour avoir écrit L'Homme à l'Hispano, le film, bavard et ampoulé , raconte l'histoire peu palpitante d'un officier de l'armée britannique, accusé de traîtrise, qui retrouve à Bagdad une femme qu'il a passionnément aimée-euh. A l'occasion d'une mission périlleuse, il s'accusera pour la protéger.
Tout sonne faux, vieux, artificiel dans ce Bagdad de carton-pâte, peu présent, d'ailleurs, la majorité du film étant tourné en studio. La distribution même semble un cliché : dans les seconds rôles, Pierre Renoir et Aimé Clariond incarnent avec professionnalisme et sans surprise les militaires de carrière. Et dans les deux rôles principaux, on retrouve deux abonnés de ce genre de mélodrames romanesques.


On a beaucoup de mal à imaginer à quel point Pierre Richard-Willm fut une vedette à son époque . Beau, fringant, une voix veloutée , il fut l'objet d'un culte auprès de jeunes filles que l'on surnommait les Willmettes. Il joua avec prestance les héros coloniaux, les héros romantiques, les héros tout court, jusqu'au milieu des années 40, où, raisonnablement, il quitta le métier pour se consacrer à ses autres passions. Loin de n'être qu'un bellâtre, le garçon fut en effet un passionné de théâtre, pour lequel il conçut un grand nombre de décors et costumes. Il fut également un bon sculpteur, et dirigea, pendant plusieurs années, après son retrait de l'écran, le fameux Théâtre du Peuple de Bussang, dans les Vosges.
Dans son fort joli livre de mémoires, il s'excuse presque de sa carrière, la considérant presque comme une erreur de parcours. Pourtant, à bien y regarder, son jeu, quoique daté, paraît bien plus moelleux, plus savoureux, que celui de son grand concurrent de l'époque, Pierre Blanchar, qui faisait un sort à chaque réplique. Son problème fut son succès : très populaire, on lui proposa tout et n'importe quoi, et il n'eut que peu l'occasion ( contrairement à Blanchar, hélas), de se confronter à de grands rôles. On sera donc reconnaissant à Robert Vernay de lui avoir offert ce cadeau en or, celui d'incarner Edmoond Dantès dans Le Comte de Monte- Cristo, en 43, une des plus belles versions, d'ailleurs.

Kate de Nagy ( ou Käthe von Nagy, dans les films germanophones) fut une de ces nombreuses petites bonnes femmes que le parlant balbutiant jeta dans la lumière avant de les laisser s'éteindre dans le noir.
Remarquée à la fin du muet, cette mignonne austro-hongroise  s'engouffre, au début des années 30 , dans le système des doubles versions franco-allemandes, qui assurent le succès des films dans les deux pays. Hélas, elle n'y tournera que des fantaisies sans importance ou des drames conventionnels. Tout juste le grand Robert Siodmak la fait-elle figurer dans son noir Chemin de Rio, où elle est éclipsée par Jules Berry, Charles Granval, Dalio .et d'autres monstres sacrés...
Durant la guerre, elle a le bon gout de se faire discrète, et d'éviter la compagnie de l'occupant. Cela ne servira, hélas, à rien, et son accent la bannit du cinéma de l'après-guerre.

Ici, prisonniers d'un scénario banal au possible et d'un dialogue impossible, les deux acteurs ne peuvent faire monter la sauce. Et il faut bien, pour finir, interroger maintenenant la responsabilité de monsieur Marcel l'Herbier.

  Pour les historiens du cinéma, L'Herbier fut l'exemple même du  grand cinéaste du muet qui s'effondra au moment du parlant. C'est un peu plus compliqué que ça : contrairement à d'autres, L'Herbier ne s'arrêta jamais de tourner jusqu'au milieu des années 50. Ce qui est vrai aussi, c'est qu'un grand nombre de ses films parlants sont médiocres, paresseux, soporifiques . Mais ce qu'on oublie également, c'est que son film muet le plus connu, L'Inhumaine, a lui aussi énormément vieilli, et se situe des coudées en-dessous des oeuvres de certains de ses congénères américains ou allemands (Lang, Murnau, Vidor) , aux ambitions équivalentes. Il est tout aussi exact que certains de ses muets moins renommés, comme Feu Mathias Pascal ou L'Argent, sont de vrais bons films.
Il y a donc un mystère L'Herbier, que l'on résoudra d'une pirouette, en rappelant qu'il fut avant tout , au début des années 40, le fondateur de l'IDHEC, la première école de cinéma française, et qu'il restera donc comme l'homme qui, le premier, a pris le cinéma suffisamment au sérieux pour considérer qu'il fallait l'enseigner.
Pour cela en priorité (et même si cette création s'est faire sous l'égide de la Révolution Nationale -gloups !); merci, monsieur l'Herbier.

Extrait du film : 


A plus !

Fred.



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